Ila Touba (jusqu'à Touba)
2017
A la relecture des photos que j’ai faites pendant le grand Magal de Touba, il me paraissait évident qu’un simple carnet de route ne suffirait pas. Pour être fidèle à ce que j’ai vécu, un récit de voyage était plus adapté.
Le grand Magal de Touba, c’est le plus important pèlerinage du Sénégal. Des milliers de personnes s’y déplacent chaque année. C’est sur un coup de tête, à la dernière minute, que je me suis décidée à accepter l’invitation d’un ami baye fall qui m’a accompagnée et guidée chez Cheikh Ndigel Fall (petit-fils de Cheikh Ibra Fall), dont il est le disciple, et qui est installé à Mbacké.
« Ila » Touba, c’est d’abord une route éprouvante. Quel que soit le moyen de transport choisi, il n’y en a pas un moins fatiguant que l’autre ! La nouvelle route de Thiès ouverte la veille n’est pas sécurisée, de nuit elle est terriblement casse gueule, sans garde fou et sans ligne au sol. Entre brouillard et nuage de poussière, les derniers kilomètres de « route rapide » se feront au pas malgré tout …
Le temps est incroyablement long, le fil tendu, tout le monde a hâte d’arriver. Ce que l’on ressent sur la route en regardant ces longues files de véhicules pare-choc contre pare-choc est inexplicable. Un mélange de curiosité pour cette foi qui pousse plus d’un million de personnes sur la route, un sentiment de claustrophobie aussi, enfermé dans une voiture au milieu des phares des autres voitures. Un cafard terrible me saisit au bout des cinq premières heures de voyage. Au bord de la route, partout, des véhicules en panne, des rais lumineux de lampes torche dans la brousse, ceux qui ont décidé de marcher.
Il est naturel, à certains moments, de se maudire un peu pour s’être mis dans ce circuit improbable ; il est tout aussi naturel de pester contre les autres aussi, ceux qui ont transformé une deux voies en une cinq voies, et ceux qui ont choisi les chemins informels, impunément. Une nuée de deux roues nous passe régulièrement devant quand ça roule, des imprudents, des casse-cous.
L’arrivée à Mbacké au milieu de la nuit est saisissante. La ville ne dort pas, dans l’enceinte du marabout, on va faire la fête toute la nuit. J’ai monté ma tente dans le noir à l’aide du téléphone et je me suis équipée. Tongs, chaussettes, jupe, robe et foulard noir et blanc, ce soir je suis une « yaay fall », disciple de Cheikh Ndigel Fall (petit-fils de Cheikh Ibra Fall le fondateur de la voie baye fall).
Le sac au dos, l’appareil en bandoulière, je remonte la voie principale pour rejoindre « l’arène » festive. Après avoir passé la ligne des curieux et des fidèles installés pour la nuit je rejoins le podium où les yaay fall chantent. Dans un coin, des bœufs sont paisiblement installés. S’ils savaient …
Pendant plusieurs heures, je vais rester en éveil. Je ne me sens pas en insécurité, tout le monde semble bienveillant, le mouvement et les chants sont lancinants et répétitifs, je ne comprends pas ce qui se chante mais je ressens la foi qui se dégage assurément de ces chants ; les bruits autour m’empêchent de m’endormir. Sur le mur, de belles ombres se dessinent, j’aime ce moment entre chien et loup où les ombres sont pleines et les formes incertaines. Bien que le volume des haut-parleurs soit au maximum, il règne une ambiance paisible.
A l’écart de la fête, j’aperçois des liseurs : assis au pied d’une lumière, ils lisent le coran peut-être, je n’ai pas le temps de m’attarder. D’autres sont rassemblés sans doute autour d’un café. D’autres enfin sont allongés sur des nattes. Le retour à la réalité se fait progressivement avec le retour du jour. Les vaches sont amenées les unes après les autres vers les cuisines où les attendent les bouchers. La mort n’est pas spectaculaire, la bête de ne cherche pas à fuir. L’atmosphère est calfeutrée. On me sert un attaya (un thé sucré) plutôt fort. Dans les fumées des marmites, on prépare le café touba (un café épicé au poivre de Guinée et au clos de girofle – https://www.expat-dakar.com/blog/cafe-touba-patrimoine-mouride/). La viande débitée sera cuisinée immédiatement. Je prends le pilon, un groupe de jeunes cuisinières a décidé de m’intégrer dans son groupe. Je vais apprendre à préparer le « touffé », le ragoût de bœuf sénégalais qui se cuisine avec de l’oignon vert, des épices, et des pommes de terre. Tour à tour, « mes jeunes amies » s’amusent de me voir manier le pilon, je n’ai pas l’habitude et ça se voit !
Dans la lumière du petit jour, nous retournons vers le podium. Mais la cour s’est remplie, des marmites pleines de café, on remplit des dizaines de pichets, avec le sourire. Plus loin ce sont de grosses bassines de mil qui ont été préparées. Une femme prépare les plats de mil sur lesquels elle va verser des louches de lait caillé sucré. Cette préparation s’appelle le lakh. Invitée à manger cette spécialité sénégalaise je m’assois à même le sol et partage mon petit-déjeuner avec mon ami baye-fall et une dame qui m’invite à venir la voir à Thiès à la prochaine occasion. Autour de nous c’est l’effervescence, on vient se prendre en photo à mes côtés. Je vais sans aucun doute être un sujet de conversation pendant plusieurs jours dans de nombreux foyers !
Les yeux fatigués je me dirige vers la sortie. Mais l’ambiance a changé, je me rends compte qu’il serait dommage de s’en aller maintenant. Des files de danseurs se sont formées, il y a beaucoup plus de monde c’est la folie ! Habillés de noir et blanc (les couleurs du marabout) ou de vêtements plus colorés parfois, des files de jeunes gens tournent autour du podium en enchaînant danses et chants. D’avant en arrière, ils se balancent, interminablement. Ils sont joyeux, l’ambiance est survoltée, la foule participe et se mélange aux baye fall. Ils s’arrêtent à ma hauteur et me font l’honneur de me montrer leur danse. Ils veulent que je les suive, mais je suis impuissante, la fatigue et l’encombrement de mon appareil ne me permettent pas de les suivre.
Je suis interpellée en permanence, c’est la fête, ça se bouscule on ne sait plus où regarder il y a tellement de choses à voir. Mais je sens la fatigue, et mes pieds sont toujours plein de sable, la sensation n’est pas très agréable. Alors à 10h je finis par rentrer à la voiture.
La ville de Mbacké s’est réveillée, du monde se presse vers la cour du marabout. Après une toilette de chat, c’est l’heure du petit-déjeuner dans la cour où j’étais conviée à dormir. Même si la faim ne me tenaille plus, l’hospitalité que l’on m’offre ne peut pas être refusée et c’est avec le sourire que je me rassois sur la natte pour partager le repas avec le chef de famille. Un plat de pâtes mélangées aux pommes de terre, c’est plutôt surprenant. La famille dans la cour s’est réunie pour m’aider à plier la tente que je n’ai pas utilisée et c’est un moment joyeux que nous avons partagé ! La moindre des choses était de proposer à ceux qui le souhaitaient de les amener à Touba et la voiture s’est vite remplie. Mais au bout de la rue, nous tombons sur une procession de dizaines de baye fall. Ils chantent et courent avec de gros morceaux de bois sur la tête. Impossible pour moi de ne pas les suivre, et c’est ainsi que de nouveau je me retrouve dans la cour du marabout. Avec toujours ce même étonnement, je retrouve tout un groupe de baye fall accroupis avec, sur la tête, les morceaux de bois. Autour, la foule s’est réunie et attend l’arrivée imminente du marabout qui parlera une dizaine de minutes avant de les libérer. A peine sortis de la cour, ils seront rejoints par une autre procession de civils portant des cartons de boissons. Tous vont se diriger vers la demeure du marabout pour le repas.
C’est l’heure pour moi de me rendre à Touba qui n’est qu’à quelques kilomètres. Nous allons prendre de nouveaux embouteillages mais avec l’aide de mon ami baye fall nous contournerons les grandes artères et par les petites rues nous rejoindrons assez rapidement la proximité de la grande mosquée de Touba.
Ici plus personne (ou presque) ne roule. Des milliers de pèlerins se dirigent vers la mosquée, en tongs ou en chaussettes. Nous allons chercher un point de vue qui me permette de faire des photos, et c’est vers un grand immeuble que nous nous dirigeons. Ce n’est pas compliqué d’obtenir l’autorisation du gardien et les cinq étages du bâtiment quasi inoccupé sont vite montés. La vue d’en haut n’est pas vraiment une surprise. Une longue procession de pèlerins se dirige en un filet multicolore vers le lieu de prière. Les petites ombres mobiles des vendeurs de rue se mêlent aux silhouettes immobiles des gens, ce ballet d’ombres m’interpelle. J’aime voir ce ruisseau d’hommes en couleurs. En bas, on ressent une impatience, une ferveur, une joie. C’est la fête, dans les quartiers on a tué ce matin les bœufs et/ou les chameaux, on marche sur les peaux étalées dans la poussière dans la rue, les baye fall font la cuisine dans les cours. Des cars de transport pleins de pèlerins s’apprêtent déjà à quitter les lieux. Impossible pour moi d’imaginer les millions de personnes qui étaient annoncées, je ne les ai pas vues. Je suis arrivée après la prière du matin, la plus importante. Néanmoins il y avait déjà bien assez de monde !
Je pense déjà au chemin du retour, plus de 35 heures sans dormir et la chaleur rajoute au poids des heures d’éveil. Malgré l’étude de la carte routière, nous nous trompons de direction et quittons Touba par la voie principale. Pas grave, ou si, j’ai la hantise des embouteillages. Finalement, nous allons rouler comme sur une autoroute, et nous avons rejoins Dakar en 2h30 minutes, un exploit ! Avec une grosse fatigue, mais avec de très bons souvenirs.
Le soir j’ai rangé mon habit de yaay fall. Peut-être qu’au prochain Magal je le ressortirai …