La chambre était ici
Le 23 janvier 2020, dans le quartier de l’Aérocanal, les ‘hommes habillés’ (militaires) et les ‘caterpillars’ sont arrivés à l’aube pour raser un quartier inexistant sur le site cartographique Google maps : la zone de l’Aérocanal, déclarée zone d’élevage auprès du ministère concerné, abritait plusieurs milliers de personnes de plusieurs origines (avec une majorité de burkinabés), dont une grande partie est aujourd’hui sinistrée.
A l’origine de ces déguerpissements précipités, la mort d’un jeune ivoirien dans le train d’atterrissage d’un avion, début janvier, et la décision de « sécuriser » le périmètre de l’aéroport dans la zone des 200 mètres autour du mur d’enceinte (50m dans un premier temps, 150 mètres dans un second temps 45 jours après).
Construites au bord de la route qui longe le corridor aérien, les maisons précaires de ce village sans électricité n’ont pas résisté aux assauts des engins. Aujourd’hui se dresse ici un amas de tôles et de poutres en bois qui se mélangent aux arbres déracinés, un spectacle de désolation. Un parc à bœuf semble avoir résisté, ainsi que les terrains agricoles alentours.
D’après le chef du village, plus de 1700 soutiens de famille ont été sinistrés.
« Personne ne nous avait informés ici. Au départ, seule la localité d’Adjouffou (à droite du mur d’enceinte, sur la route en direction de Grand-Bassam) était concernée. D’ailleurs, de nombreuses habitations ont été désertées, les propriétaires ont fui avec leurs affaires et leurs portes et leur toit, les compteurs d’eau et d’électricité ont été enlevés, laissant les locataires dans une situation très précaire !
« Les autorités sont passées à Aérocanal mettre des croix sur les murs. Nous avons été surpris. Quand ils sont revenus, on n’était pas prévenu de la date. Et ils n’ont pas respecté la zone des 50m prévue, ils ont détruit plus de 400m à certains endroits ! »
Des enfants jouent dans les décombres, des ferrailleurs récupèrent les fers à bétons, d’autres empilent des parpaings rescapés pour les revendre. Une dame mendie du petit bois auprès des autres villageois…
« Certains sont partis ailleurs en espérant trouver une place quelque part mais c’est saturé, ou alors c’est trop cher ; ceux qui sont restés dorment entre des murs (quand il y en a encore) sans porte et sans toit. Certains pré-fabriquent des hangars avec du bois de récup et des tôles par terre pour protéger les matelas et les affaires de la pluie ».
« Chacun dort dans sa cour déguerpie ».
Sur la route de l’aéroport, à l’angle de la rue principale menant à une partie du village, un groupe de personnes s’est réunie à la tombée du jour pour manger des beignets aux haricots. Une malheureuse ampoule apporte un peu de lumière, mais ils sont chanceux car ici peu de villageois sont équipés en solaire et en torches.
Les sinistrés n’ont reçu pour l’heure aucune indemnisation, ils sont anéantis par ce qui leur est arrivé, désorientés, ils se sentent en insécurité. Si la colère perce dans la voix de certains, la plupart, même s’ils ne comprennent toujours pas pourquoi, n’ont plus qu’une idée en tête : mettre en sécurité leur famille et les affaires qu’il leur reste, mais pour cela, ils ont besoin d’un soutien financier. En attendant, les familles dorment les uns sur les autres, sur des matelas qu’on repositionne tous les soirs, sous la moustiquaire, sous les étoiles. Rêvant très probablement d’un avenir plus souriant.
Aérocanal, Abidjan, Côte d'Ivoire, 05 février 2020