Festival Phemina
Fontainebleau 12-20 mars 2022
Photo en 20x30
Piezzo-Impression charbon sur papierfine art Hahnemuhle 308gr
Passe partout + cadre alu noir avec verre minéral
Tirage en édition limitée à 30 exemplaires
Prix de vente : 250 euros
Le Caire, la nuit au grand jour
« Il existe autant de façons d’entrer dans la nuit qu’il existe de nuits et de sensibilités différentes ».
Quand j’ai commencé cette série sur la nuit au Caire (où je réside), j’avais besoin de me retrouver seule avec moi-même, hors-cadre, loin de mon environnement quotidien et de sa charge mentale. Une échappée belle qui s’imposait par une quête de solitude.
La marche à pied s’est imposée. Commandant le rythme, elle a d’abord été arbitraire, puis réfléchie, jusqu’à me pousser au-delà des limites que je m’étais imposée, poussée par la curiosité d’en voir plus. En 1996, l’anthropologue et sociologue Pierre Sansot avait mis en avant dans son ouvrage, La poétique de la ville, un concept « de lien analogique qui existerait entre les chemins de conscience et les avenues d’une ville »… de quoi méditer sur ces routes aléatoires où nous mène notre esprit…
La nuit, les autres sens prennent le relais, on se retrouve au centre de l’histoire, on s’écoute, on se découvre. On se retrouve face à soi.
La nuit ne m’a jamais effrayée, elle est chez moi plutôt propice au repos, à la méditation, à la réflexion, à la contemplation. J’aurais pu juste marcher encore et encore, et vider ainsi le trop plein d’émotions qui me submergeaient. Au lieu de ça, j’ai pris mon appareil photo pour aller à la rencontre de ce monde intermédiaire qui m’attirait, de cet espace-temps particulier qui s’anime à la tombée du jour alors que la plupart rentrent après une journée de travail.
Que se passe t-il au Caire, la nuit ? Pourquoi travailler sur la nuit ?
Parce que « la nuit déplace les frontières physiques, gomme l’horizon, suspend le temps » (Espinasse et Buhagiar, psychosociologues, 2020). Parce que la nuit, tout semble très différent, même si on sait que tout est identique : la nuit, c’est « l’autre côté de la ville » (Luc Gwiazdzinski, géographe, 2005), son verso.
Chaque quartier ne vit pas la nuit de la même manière. Quand un quartier se vide ou s’éteint, un autre s’anime. Certains iront en famille ou entre amis se promener sur le pont Kasr Al Nile ou prendre l’air sur une dahabeya toute illuminée ; d’autres se poseront au pied des mosquées pour discuter comme à Sayeda Zeinab ; d’autres encore s’offriront plutôt un petit tour en calèche vers le Khedive tree à Zamalek. La rue El-Moaz est toujours très animée dans le Khan el-Khalili jusqu’à 23h, et les cafés et marchés du darb el-Ahmar sont toujours ouvert après minuit. A Maadi, la jeunesse égyptienne se retrouve sous les luminaires pour manger et discuter jusque tard dans la nuit. Certains cairotes privilégient le soir pour jouer au football et il n’est pas rare d’en voir jouer encore à 2h du matin sur des terrains aménagés entre deux tombes dans la Cité des morts. Quelle que soit l’heure on rencontre toujours une famille qui se promène, il y a souvent une fenêtre allumée dans la nuit, on n’est rarement seul….qu’importe où mes pieds m’aient amenés, les nuits n’ont jamais été identiques.
La nuit, chacun voit la réalité de manière déformée, mais unique, à travers le prisme de sa propre identité. Il existe autant d’interprétations de la nuit qu’il y a d’humains sur la terre ! Et si l’obscurité modèle, estompe, nuance, elle différencie et divise aussi la ville en plusieurs espaces (de nuit, de travail ou de plaisir).
Comme l’écrivait le géographe Luc Bureau en 1997, « à partir d’un certain seuil d’obscurité s’opère une métamorphose de la ville ».
De fait, photographier la nuit en noir et blanc, est un parti-pris très personnel. Néanmoins, la ville apparaît dans sa dimension plus intime, plus graphique, plus poétique. Le clair-obscur raconte d’autres histoires, selon que l’on décide d’appuyer sur l’obscurité ou au contraire d’éclairer certaines ombres... La série qui découle de ces soirées blanches propose donc à chacun de construire sa propre narration, d’imaginer l’histoire derrière la photographie, de donner libre court à son imagination et de rendre, peut-être, sa part de rêve et de mystère à la nuit.
Car la ville se fait plus mystérieuse et féérique, la nuit déposant comme une cape d’invisibilité sur elle, masquant ainsi la misère et le superflu, ne laissant voir que l’essentiel à travers sa mise en lumière par l’éclairage public (lieux de mémoire et espaces communs - rues, quartiers) et privé. Cet éclairage urbain qui permet de multiples relectures de la ville.
D’une invitation au voyage et au rêve, la nuit urbaine a depuis longtemps dépassé le registre de l’imaginaire onirique. Colonisée par les activités diurnes, sur-exposée à un éclairage parfois trop puissant, la nuit urbaine devient progressivement un enjeu de taille. Territoire d’expérimentation et d’innovation, elle invite à réfléchir sur les questions de liberté, d’insécurité, de transgression et d’identification.
Nathalie Guironnet, Le Caire, Egypte, 2021